Interview de Marie-Lys BIBEYRAN
Réalisée par La Rainette émerveillée
Article mis en ligne le 7 octobre 2014

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Rencontre avec Marie-Lys Bibeyran, une femme de foi et de caractère dans un milieu d’homme. Elle mène un combat sans merci et avec brio au sein des vignobles Médocains afin de préserver les travailleurs mais également les riverains et les consommateurs des pesticides utilisés en agriculture et plus particulièrement dans les vignes. Il ne faut pas manquer de courage pour s’attaquer à ce secteur économique de la région bordelaise. Merci à Marie-Lys d’avoir sacrifié de son précieux temps afin de m’accorder cet entretien.

Catherine Gay : Marie-Lys Qui es-tu ?

Marie-Lys Bibeyran : Mon métier c’est salariée agricole et je travaille dans les vignes, je ne suis pas employée en CDI mais en tant que saisonnière. A l’origine, j’ai une formation universitaire en Droit. J’ai fait 5 ans de Droit ce qui explique en partie que je me sois lancée dans la procédure suite au décès de mon frère en sachant un peu où je mettais les pieds.

CG : Avais-tu une spécialité en Droit ?

MLB : Oui, Sciences Criminelles, ce qui ne me destinait pas du tout au Droit du Travail.Je menais une vie plutôt tranquille jusqu’en 2008, entre études (arrêtées en 2003 suite à un manque de revenus suffisants dû à un arrêt des bourses , suite à mon inscription au CRFPA ) et les saisons dans la vigne qui me permettaient de financer les études ( de 1996 à 2003 pour payer mes études , plus régulièrement à partir de là comme véritable emploi et seule source de revenus) que j’ai du abandonner par manque de revenus. J’avais envisagé une carrière d’avocate et malheureusement je n’ai pas pu accéder aux bourses étant salariée (comme je n’avais plus droit aux bourses j’ai pris un job étudiant mais je n’avais plus le temps d’aller en cours , c’est la difficulté à combiner travail et études qui m’a conduite à arrêter mes études ). Donc je suis restée à la vigne ce qui n’était pas un choix délibéré.

CG :Quelle est l’origine de ton combat contre les pesticides ?

MLB : Mon frère est tombé malade fin 2008, bien entendu, comme pour toute personne confrontée à la maladie c’est un ouragan qui s’abat sur vous. Pour lui comme pour moi, la première idée a été de faire le lien avec les produits. La première question qu’il a posée à son cancérologue, lors du diagnostic, était de savoir si c’était lié aux produits. Donc on lui a répondu, « on vous dira ça dans20 ans » ce qui est quand même très cynique lorsqu’on est en face d’une personne qui a un cancer.

CG : autrement dit,vous servez de cobaye et on dira ça aux prochains.

MLB : Exactement !Mais dans une première période, on a laissé tous les deux en suspens parce que la maladie ne lui a laissé ni le temps ni l’énergie de chercher. Il a posé quelques questions à son employeur qui ne l’a pas encouragé à en savoir davantage. C’est suite à son décès, en octobre 2009, que j’ai commencé à creuser la question. Ce n’est qu’en 2011 j’ai engagé la procédure en reconnaissance post-mortem de maladie professionnelle après m’être assurée de la recevabilité juridique de ma requête. Et une fois obtenu le certificat médical initial qui est le sésame pour ouvrir la procédure auprès de la MSA, j’ai entamé la procédure. Je me suis vraiment concentrée sur ce dossier jusqu’en mai 2012, moment où j’ai transmis le dossier à Maître LAFORGUE, parce qu’on passait devant le tribunal des affaires de la Sécurité Sociale et je ne me sentais pas à la hauteur de l’enjeu. Il fallait vraiment un professionnel pour mettre le plus de chances possibles de notre coté. Maître LAFFORGUE étant l’avocat de Paul François qui a réussi à gagner contre MONSANTO, on ne pouvait pas se priver d’un tel talent.

CG : Surtout qu’il doit connaître toutes les arcanes de ce genre de procédure..

MLB : Oui voilà, c’est LE spécialiste, il a des conventions d’honoraires très favorables pour les membres de « phyto-victimes » et de« Générations Futures » donc tout était réuni pour qu’on lui transmette le dossier et je me retrouvais avec plus de disponibilités et plus de connaissances aussi sur le sujet. Il me devenait impossible d’en rester là, de garder ces informations pour moi. C’était tout naturel de continuer par la voie du militantisme,ce que je fais aujourd’hui.

CG : Concernant l’association Générations Futures, fais tu partie du bureau ?

MLB : Non, je suis simple membre. Plusieurs personnes m’ont incitée à créer ma propre association mais je n’ai pas le temps et en plus que ce soit "Générations Futures" ou "Phyto victimes", ces associations font d’une part très bien leur travail, ont déjà une très bonne visibilité.Ce serait vraiment un investissement en temps au détriment du travail sur le terrain.

CG : Sur le terrain, j’ai vu que tu faisais de la distribution de tracts...

MLB : Oui, c’est nouveau. C’est la première année que j’arrive à faire un bulletin d’information à destination des riverains sur Listrac ainsi que sur Internet (grâce à une collaboration avec l’association "Générations Futures" qui m’a apporté son expérience de la réalisation de brochures et un financement ). Ça me plait beaucoup et ça permet d’aller porter l’information à ceux qui en ont besoin et il est vrai que certaines personnes m’avaient interpellée en me disant : « certes, vous avez Facebook mais ce n’est pas pareil ! Nous n’avons pas forcément des informations très détaillées sur les périodes de pulvérisations, quelles sont les attitudes à adopter, est ce qu’il y a des gestes à faire pour les enfants, les animaux, est ce qu’on peut quand même aller se promener dans les vignes, etc... » et c’est à toutes ces questions que l’on tente de répondre via ce bulletin d’information et puis j’avais également distribué un petit manuel de l’association « veille au grain » que je trouvais très bien fait sur les dangers des pesticides et des perturbateurs endocriniens.

CG : Est-ce que tu envisages de faire des conférences, des manifestations ciblées ?

MLB : J’avais le projet de faire la réunion que j’ai du abandonner parce qu’on aurait du s’y prendre plus tôt, on n’avait pas assez de temps pour faire quelque chose de bien et je pense qu’on la fera pour l’année prochaine en s’y préparant suffisamment à l’avance pour répondre aux attentes des gens.

CG : C’est toi qui a été à l’origine des études qui ont été faites sur les cheveux, que ce soit l’étude APACHE ou la dernière en date ?

MLB : APACHE oui,j’avais contacté « Générations Futures » pour mettre en lumière l’imprégnation des salariés qui ne manipulent pas les produits. L’exposition des personnes qui font les traitements ne fait aucun doute, on la connait, elle est évidente ! Certes, ils ont des cabines et des protections mais c’est encore à l’étude. Par contre, pour les salariés agricoles, l’intérêt était de se pencher sur une catégorie dont on ne soupçonnait pas l’exposition aux produits tant il est vrai que c’est mal connu et que le contact avec le feuillage traité moins de 48h après, sans protection particulière peut avoir des conséquences importantes. Mais en allant plus loin c’était aussi une manière d’attirer l’attention sur une catégorie professionnelle complètement méprisée et laissée pour compte. J’avais aussi lu dans Lyon-Capitale qu’ils avaient fait analyser par un laboratoire des mèches de cheveux de particuliers et donc ça m’a donné l’idée de prendre contact avec« Générations-Futures » qui m’a , à ma grande surprise ( parce que l’on ne se connaissait pas encore tellement ) , réservé un accueil enthousiaste pour cette étude. Ils connaissaient le labo kudzu-sciences à Strasbourg qui avait déjà fait les précédentes analyses.(pour être exacte ils avaient rencontré ce labo lors du congrès Pesticides Santé de mars 2012)

CG : L’enquête que tu avais mise au point par voie d’email, c’était aussi à propos d’APACHE ou bien c’était autre chose ?

MLB : Non c’était autre chose, c’était pour faire un état des lieux des problèmes de santé dont se plaignent les personnes exposées aux pesticides. J’ai diffusé sur tout le territoire français via internet, j’ai reçu 80 réponses 53 pour le Médoc et 27 hors Médoc, j’ai fait cette distinction pour plus de clarté. La synthèse de cette enquête, c’est que 70% des salariés agricoles se plaignent de maux de tête, d’éruptions cutanées, de problèmes respiratoires après une exposition aux pesticides. Ceci est une réaction immédiate, dans les heures qui suivent un épandage.

CG : Quel est le délai préconisé d’intervention des travailleurs agricoles sur les parcelles après un traitement par pesticides ?

MLB : Alors... tout dépend des produits utilisés. Il y a des produits qui indiquent que vous pouvez revenir travailler sur les parcelles 12 heures après, suivant la dangerosité des produits ça peut aller jusqu’à 72h (le maximum est de 48h) en cas extrême. Dans la propriété où je travaille, on ne rentre pas sur les parcelles moins de 48h après un épandage. On refuse de rentrer avant sur les parcelles, (mon employeur est très respectueux de ce délai et donc de son personnel salarié ). Ce que je demande, c’est que ce soit 48h au minimum. 12H après, c’est impossible de revenir sur une parcelle traitée ! L’air et les feuillages en sont encore tout imprégnés à ce compte-là autant suivre le tracteur ! On sait déjà que 48h c’est limite, donc c’est vraiment un minimum à demander.

CG : Pour le sulfate de cuivre (bouillie bordelaise) c’est 12h ou 48h ?

MLB : Le cuivre c’est un traitement qui est réservé à la culture BIO, donc je ne saurais pas répondre.

CG :Dans la propriété où tu travailles vous n’en utilisez pas du tout ? C’est quel type d’agriculture ? Agriculture Raisonnée ? Agriculture Conventionnelle ?

MLB : Non, nous sommes en agriculture conventionnelle, mais j’ai un petit souci avec la formule agriculture raisonnée...Je pense que c’est une édulcoration sémantique mais qu’il n’y a rien derrière. On est passé de pesticides à produits phytosanitaires là c’est la même chose, on est passé d’agriculture intensive à agriculture conventionnelle puis à agriculture raisonnée ! En fait, tout ça c’est pareil. Le principe de l’agriculture raisonnée est de dire qu’on ne traite que lorsque les cultures en ont besoin. Mais ils vont tous vous dire qu’il y en a besoin !

CG : Par rapport à l’étude qui a dernièrement été faite, j’en ai parlé dans certains groupes sensibles à l’écologie et il y a eu des contradicteurs pour dire que l’étude n’est pas suffisamment significative quant à l’échantillonnage de population étudiée pour appliquer des mesures globales quant à l’agriculture en général. Qu’en penses-tu ?

MLB : Tu parles de la dernière étude sur les enfants ?

CG : Oui tout à fait

MLB : Alors certes il n’y a que 30 enfants qui ont été testés comme pour APACHE où il n’y avait que 25 personnes. Il faut savoir que s’il n’y a que ces petits échantillons, c’est d’une part parce que ça coûte très cher et aussi que c’est totalement aux frais de l’association "Générations-Futures" qui ne dépend que des adhésions de ses membres. Afin de conserver son indépendance cette association refuse les subventions publiques. Comme ils n ’ont pas un nombre infini de membres c’est difficile de généraliser l’étude sur une population plus importante. Donc, ce que je réponds à ces personnes c’est que ce serait aux instances sanitaires et des pouvoirs publics de prouver le contraire en faisant une étude sur un échantillon plus large auprès des enfants des écoles dans des communes agricoles et des communes non agricoles. Jusqu’à maintenant ça n’a pas été fait.

CG : Concernant les résultats de ces analyses y a t-il des enfants testés qui ont de gros problèmes de santé liés aux pesticides ?

MLB : Je n’ai pas les résultats des 30 enfants, c’est anonyme. Les parents qui ont fait participer leurs enfants sur Listrac ont accepté de me communiquer les résultats. J’ai également pris connaissance des résultats d’un enfant testé en Ardèche. Charles Sultan, qui est chef du service d’endocrinologie pédiatrique au CHU de Montpellier spécialiste des pubertés précoces et de toutes les malformations génitales, tire la sonnette d’alarme depuis au moins 10 ans pour ce genre de cas. De son coté, il fait bien le rapport entre ces problèmes de malformations et les perturbateurs endocriniens.

CG : Les parents de ce garçon travaillent dans les vignes ?

MLB : Je connais la maman parce qu’elle a grandi ici, que nous sommes allées à l’école ensemble. Elle a déménagé dans l’Ardèche où elle est exposée à l’arboriculture. Elle vit près de vergers de pommiers et cerisiers.On retrouve effectivement dans les cheveux de son fils des traces d’insecticides utilisés en arboriculture.(elle n’habitait pas encore là au moment où elle a eu son fils mais en ville , ok pour les résidus dans les cheveux mais peut pas être la cause de l’hypospadias ) .

CG : A priori, le lien serait donc évident.( plutôt probable avec les pesticides viticoles ) .

MLB : Oui, et elle du fait de sa jeunesse ici a emmagasiné en elle des pesticides perturbateurs endocriniens viticoles, et donc ce cocktail malheureusement a donné les résultats que l’on sait sur son fils.( cette phrase m’embête un peu , je ne voudrais pas faire davantage culpabiliser la maman ) "

CG : Il me semble avoir lu que ce n’est pas forcement le dosage qui est important mais qu’une simple dose infinitésimale homéopathique, pouvait être à la limite plus dangereuse, comment ils expliquent ce phénomène-là ?

MLB : (Pour les perturbateurs endocriniens ce n’est pas la dose qui fait le poison mais le moment de l’exposition )
Oui, il faut insister là dessus ! Après, je ne suis pas médecin mais les perturbateurs endocriniens en général sont des molécules chimiques qui sont parfois plus nocives à faible dose qu’à forte dose mais qui même si elles ne le sont pas davantage, sont de toutes façons très dangereuses à des doses infinitésimales. Il faut arrêter avec l’argument selon lequel dans cette enquête on ne retrouve que des petites doses de chaque pesticides dans les cheveux des enfants et que donc ce serait sans danger, ça c’est totalement faux ! Or, c’est l’argument phare des lobbies des pesticides. Comment on l’explique ? Je ne saurais pas répondre et il faudrait demander à quelqu’un comme Charles Sultan. Mais ce qui doit aussi contribuer c’est que des molécules chimiques perturbatrices endocriniennes existent aussi en dehors des pesticides. Par exemple les phtalates, le bisphénol, les parabens...etc que l’on trouve dans beaucoup de choses de nos quotidiens, et je pense que c’est l’accumulation qui fait qu’il y a cette forte réactivité malgré les faibles doses. Nos enfants stockent jusqu’à une vingtaine de résidus chacun. C’est un véritable cocktail chimique, donc personne n’a aucune idée de ce que ça peut donner, c’est vraiment la grande inconnue. On n’a aucun recul. Pour répondre à la question, si des enfants ont des problèmes de santé, j’ai ma propre fille qui est en puberté précoce. Elle n’est pas suivie pour, par choix parce que je ne suis pas non plus pour l’injection d’hormones non plus. Le risque (immédiat) de la puberté précoce c’est la petite taille, nous on a la chance qu’elle soit particulièrement grande (pour le moment elle est plus grande que ses camarades mais sa croissance peut se stopper d’un moment à l’autre ).
Je lisais un article de Charles Sultan qui disait qu’à la fin des années 90, il voyait une quinzaine de gamines par an pour puberté précoce et qu’aujourd’hui c’est une centaine. Et de plus en plus jeunes, quelquefois à 4/5ans !

CG : Quel cheminement suivent les pétitions que tu as élaborées ou faites circuler comme celle sur la protection des ouvriers agricoles et celles de "Générations-Futures" , pour aboutir auprès des instances décisionnaires ?

MLB : Il y en a une qui est encore en cours, l’appel de Montpellier, qui est partie du Professeur Sultan et qui s’est rallié aux médecins du limousin parce qu’ils ont lancé ensemble sans s’être concertés un mouvement simultané et donc ils ont mis au point une grosse pétition pour la reconnaissance de la dangerosité des pesticides et donc ça je sais que ça a été remis au parlement lors d’un colloque sur les pesticides en début d’année.

CG : Qui l’a portée au parlement ?

MLB : Les médecins du limousin, le docteur Péricaut, lors du colloque organisé à l’Assemblée Nationale ils en ont profité pour remettre leur pétition et ils ont émis 10 propositions qui regroupent ce que la société civile demande.
Quant à ma propre pétition www.change.org/PesticidesSalariesAgricoles je l’ai lancée le 05 juin, nous en sommes actuellement à plus de 6400 signatures, c’est très bien, vu la complexité du sujet ( les vraies conditions de travail des salariés agricoles sont méconnues et le poids des lobbies notamment viticoles très important) Elle est plus que jamais d’actualité. Chaque signature est importante !

CG : Crois-tu au poids de la société civile face aux lobbies ?

MLB : Je pense que c’est possible, mais en ce moment précis j’aurais tendance à dire que non parce que je suis déçue du manque de mobilisation citoyenne. Pour rester dans l’actualité, je pensais vraiment que les résultats de l’analyse dans les cheveux des enfants mobiliserait plus que ça. Nous sommes des parents et rien que sur Listrac je n’arrive pas à mobiliser les parents. Pas du tout ! Ni le conseil des délégués de parents d’élèves. Ils sont dans le déni et c’est un vrai boulevard fait aux lobbies. On pourrait avoir un poids conséquent si nous étions plus nombreux.
Idem en ce qui concerne les conséquences de l’incident survenu à Villeneuve de Blaye fin mai ! Une classe entière intoxiquée suite à un épandage de pesticides sur des parcelles jouxtant l’école . Les parcelles appartiennent à Mme le Maire du village et hop ! Aucun parent n’a engagé de poursuites,
ils ont pourtant certainement conscience de la gravité de la situation mais craignent pour leurs emplois et leur vie sociale sur la commune. A juste titre !

CG : Le support Facebook est-il intéressant pour toi ?

MLB : Ça l’était, mais ça l’est moins parce que mes interlocuteurs sont toujours les mêmes et ce sont des personnes qui sont déjà sensibilisées.

CG : Ces personnes-là font elles leur part de travail en diffusant ?

MLB : Oui, il y en a de plus en plus qui diffusent mais c’est pareil, c’est un réseau et il est difficile d’aller au delà de ce réseau. C’est quelquefois très décevant de voir le peu de résultat d’une pétition.

CG : A ton avis, les gens ne sont-ils pas un peu saturés par le phénomène des pétitions ?

MLB : C’est possible,l’info est aussi noyée dans l’info, les gens ont des rythmes de vies et n’arrivent plus à s’arrêter sur l’essentiel. C’est vrai que je réfléchis actuellement à comment faire passer l’information. J’ai parfois dû batailler pour avoir un article dans « le journal du Médoc ». Par contre, je commence à être de plus en plus sollicitée spontanément par différents journalistes quand l’actualité aborde le sujet des pesticides.

CG : Tu es tout de même un peu le porte drapeau de la lutte contre les pesticides aujourd’hui. Concernant l’affaire de ton frère où en êtes-vous ?

MLB : Une audience est fixée au 05 mars 2015 ! Le problème de la procédure c’est que c’est sporadique. Pour ma part, j’ai tout mon temps ce n’est pas un souci. (les récentes décisions de justice ayant condamné des employeurs pour faute inexcusable et ayant donc indirectement reconnu le lien de l’exposition aux pesticides des salariés avec leur pathologie est de très bonne augure pour nous ! ) La difficulté maintenant c’est qu’il faut au niveau local sans cesse occuper le terrain pour mettre la pression sur les acteurs de la profession, ne pas lacher l’affaire et en même temps ne pas lasser les gens, ne pas saturer. Sélectionner la bonne info à faire circuler au bon moment. C’est toute la complexité d’interpeller sans toutefois lasser.

CG : Ton engagement j’imagine t’attire certains ennuis...

MLB : (rires) oui bien sûr, mais je n’ai jamais subi d’agressions physiques, j’arrive encore à vivre relativement tranquillement dans ma commune. Là où ça devient compliqué c’est que je suis quand même très marginalisée parmi les gens de la commune. Des personnes qui me parlaient, ne m’adressent plus la parole. Idem des parents d’amis de ma fille à l’école, si je ne vais pas vers eux ils ne s’aventureront pas vers moi. C’est là que ça devient plus compliqué.
Mon emploi est fragilisé et l’arrivée de viticulteurs ou ex-viticulteurs à la tête de la commune ne me facilite pas la tâche ! La durée de mes contrats saisonniers est diminuée par rapport aux années précédentes, des tâches qui m’étaient confiées l’ont été à d’autres personnes. Un moyen de pression déguisé ….Mais je ne suis dénuée ni de force de caractère ni d’alliés précieux !

CG : Auraient-ils peur d’être assimilés ?

MLB : Ha oui c’est certain ! A la sortie de l’école ils n’aiment pas trop être vus en train de discuter avec moi. C’est en permanence et c’est lourd à porter, parce que c’est une petite commune et que tout le monde se connait. Il faut batailler pour tout, pour faire des photocopies (j’ai demandé à la mairie de financer les photocopies du Bulletin d’Info ) je dois prendre rendez-vous avec le maire qui me fait des réflexions sur le fait que je « vivrais dans le passé ». Il est certain qu’en tant que viticulteur lui-même, il n’est pas d’une grande complicité avec moi. Ce sont des remarques de mon employeur qui ne viennent pas directement de sa propre personne parce que nous avons une estime mutuelle mais qui vient du fait d’une pression de ses propres collègues, ce que je conçois aisément. Après, il y a quand même certaines personnes qui s’arrangent pour me signifier qu’un coup de fusil est vite parti. Mon père a reçu des courriers assez peu agréables, surtout au début.

CG : Pourtant ils auraient sans doute à y gagner eux aussi non ?

MLB : Ha mais j’en suis absolument persuadée ! Mais ce qui les dérange le plus à mon avis, c’est que ce soit une salariée qui vienne leur dire comment travailler...Ils n’ont jamais vu ça ! Une femme en plus ! Et pas d’une famille de viticulteurs en prime ! Mais bon, j’en ai pris mon parti. Mais en tout cas, c’est bien plus difficile que tout ce que j’avais pu imaginer. Ça c’est certain. Je m’étais préparée psychologiquement mais je ne m’attendais pas à l’ampleur prise par ce combat. J’étais partie sur la procédure et jamais je n’avais imaginé devenir militante et initier des études, rien de tout ça. Je m’étais préparée à prendre des coups à titre personnel, mais ce qu’on ne peut pas préparer ce sont les coups sur l’entourage et je ne les ai pas vus venir. Il y a des personnes proches qui prennent leurs distances, on ne le prévoit pas non plus. Mais il y a aussi des surprises, de très belles surprises, des belles rencontres, des personnes qui vous appellent pour vous remercier d’avoir eu le courage de faire ce que l’on a fait pour eux, des salariés agricoles. Quand j’ai fait l’enquête, sur d’autres communes, j’ai rencontré des salariés qui m’ont dit : « merci,il fallait le faire » ça ne fait pas franchement le poids. Aujourd’hui, j’ai au moins une personne par semaine qui me dit avoir dans son entourage quelqu’un ayant travaillé la terre et qui est mort d’un cancer ou qui est lui-même malade. Donc ça me conforte dans ma position et ça m’encourage à poursuivre. Des cas, il en a au delà de tout ce qu’on peut imaginer. Ce qui est révoltant c’est l’exposition des enfants scolarisés au milieu des vignes et qui souffrent de pubertés précoces et de problèmes quelquefois bien plus lourds que ça, là il y a vraiment urgence.
La difficulté réside également entre le temps que nécessite une étude scientifique, même une simple enquête, il y a une problématique de budget, il faut le temps de l’analyse et le temps dont on dispose sur le terrain. Or, on ne l’a plus le temps. Il est très compliqué de concilier les deux.
Il y a quelqu’un sur Listrac qui est venu me voir pour me dire d’être moins offensive avec les viticulteurs, qu’ils ont besoin de temps pour se faire à l’idée de changer leur fusil d’épaule. Mais on n’a plus le temps ! Le temps ils l’ont déjà pris.

CG : Est-ce moi qui suis optimiste ou bien dans la région y a-t-il de plus en plus de propriétés qui passent en bio ou tout au moins qu’on en parle davantage ?

MLB : Il y a de petites améliorations, des gens n’en font pas forcément la publicité mais qui dans leurs coins essaient d’améliorer leurs comportements de viticulteurs mais ça reste marginal. Sur Listrac, il y a « Château Jander » qui est en conversion Bio, mais c’est le seul.

CG : Mais ne risque-t-il pas d’être contaminé par ses voisins ?

MLB : C’est un risque en effet, le Médoc ayant la particularité d’avoir des parcelles enclavées, sans séparation entre elles. Mais même avec une contamination environnementale, il y aura tout de même moins de pesticides. Mais c’est bien, ça crée une impulsion pour les voisins.

CG : Au niveau de la hiérarchie des produits de traitements, y a t-il une distinction à faire entre les pesticides et les produits phytosanitaires ?

MLB : Alors, pesticides,produits phytosanitaires, phytopharmaceutiques, produits pour la protection des plantes, tout ça ce sont des pesticides. C’est simplement un changement de terminologie par le lobby des pesticides pour édulcorer le danger et que les gens aient moins peur.

CG : En tant que personnel agricole penses-tu qu’une agriculture qui échapperait à tout traitement chimique est possible ?

MLB : Oui à condition de changer les personnes qui sont à la tête des instances viticoles et sanitaires, de la FNSEA, du CIVB. Oui c’est viable mais ensuite c’est sûr que c’est plus difficile sur une propriété qui a 100ha que sur une qui en a 20. Mais c’est le gros problème en France que ces superficies surdimensionnées.
On a réduit le nombre d’exploitations, réduit le nombre d’exploitant mais en augmentant la surface exploitée ( ou du moins en la conservant ) .
Le souci de l’agriculture c’est que se sont des multinationales qui sont à la tête des exploitations et de moins en moins des hommes. Il est donc logique qu’on ne gère pas 400ha de céréales comme on en gérait 40.
En plus ce serait générateur d’emploi puisqu’il faudrait plus d’hommes. Il suffirait de revenir à une dimension humaine.

Pétitions à signer pour les braves :

La pétition de Marie-Lys : https://www.change.org/p/réduisons-l-exposition-des-salariés-de-l-agriculture-et-de-l-agroalimentaire-aux-pesticides

La pétition de l’Appel de Montpellier : http://www.change.org/p/appel-de-montpellier-passer-à-un-niveau-supérieur-d-alerte-et-de-prévention-pour-limiter-les-risques-sanitaires-et-écologiques-des-pesticides

Des nouvelles de la pétition de "Générations futures" :
Grâce à votre mobilisation sans précédent, nous avons obtenu une première avancée mais ….
En effet, l’Assemblée nationale a adopté le 11 septembre dernier en deuxième lecture la Loi d’Avenir pour l’Agriculture et la Forêt. Nous avons donc un texte définitif. Même si nous n’avons pas obtenu de distance sans pulvérisation de pesticides près des zones d’habitations, la pression du lobby agricole ayant été énorme, nous avons obtenu quelques avancées, qu’il conviendra de faire vivre sur nos territoires ruraux....pour lire la suite....http://www.generations-futures.fr/pesticides/pesticides-petition-riverains